La Franco-malgache, Matina Razafimahefa, a lancé Sayna en 2018, alors qu’elle n’avait que 19 ans. Cette passionnée de tennis lève des fonds avec l’objectif de former 12.000 développeurs sur le continent africain d’ici deux ans.

« J’ai lancé le Adibou du développement », sourit Matina Razafimahefa. L’allusion, que seuls les enfants (et leurs parents) des années 1990 comprendront, est un clin d’oeil au jeu vidéo éducatif phare des débuts de l’informatique grand public. Les yeux rieurs, l’air encore juvénile et l’énergie d’une hyperactive, la jeune femme de 24 ans est à la tête de Sayna, une entreprise à cheval entre la France et Madagascar.

Son idée : pousser des générations de Malgaches à améliorer leurs conditions de vie grâce au code. Depuis cinq ans, Sayna propose une formation gamifiée en ligne, sous la forme d’un jeu vidéo à dérouler sur une durée de trois à six mois. Pour achever son développement, l’entrepreneuse lève aujourd’hui 600.000 dollars auprès de Launch Africa Ventures , Orange Ventures et du club d’investisseurs malgaches (MAIC).

Une fois les compétences validées (six niveaux possibles), les apprenants réalisent – contre rémunération – des micro-tâches de développement pour le compte d’entreprises. A chaque niveau supplémentaire, les tarifs augmentent de 5 %.

Sport études

« Aujourd’hui, ils peuvent gagner entre 850 et 1.300 dollars par mois, c’est énorme sachant que le SMIC malgache est à 50 dollars et qu’un cadre gagne entre 300 et 600 dollars », ajoute l’entrepreneuse, qui vient de quitter Station F et gère une quinzaine de personnes à Paris, une dizaine à Antananarivo, la capitale de Madagascar.

Née en Côte d’Ivoire de parents franco-malgache, la jeune Matina Razafimahefa grandit dans la capitale malgache jusqu’à ses 10 ans. En 2009, un coup d’Etat plonge le pays dans une crise économique. Sa famille pourtant d’un milieu « privilégié » – un père médecin et une mère ingénieure – ne s’en sort plus. Elle décide alors de rejoindre la France et pose ses valises en Loire-Atlantique.

Matina Razafimahefa est douée au tennis et suit les années de collège en sport études à Nantes. « Le sport de haut niveau, c’est clé pour entreprendre : ça m’a appris la résilience, la discipline et la culture du dépassement. On fait face à l’échec en permanence », glisse-t-elle.

Prélever une partie de la rémunération, avant de se raviser

A cette époque, l’idée de Sayna commence déjà à faire son chemin. Loin de se considérer « geek », c’est le côté social du projet qui l’intéresse. « J’étais dans un lycée public, j’avais la chance de suivre une éducation gratuite… Ce n’est pas ce que j’avais connu à Madagascar, et je me demandais pourquoi il n’y avait pas ça ? »

Avec ce projet, elle marche sur les pas de sa mère qui, vingt ans plus tôt, avait lancé la première école d’informatique du pays. Une centaine d’élèves formés plus tard, l’entreprise n’avait pas tenu faute de modèle économique… Une erreur que compte bien éviter sa fille.

A l’origine, la start-up de Matina Razafimahefa prélevait un pourcentage sur la rémunération des élèves une fois en poste dans une entreprise. Mais après une expérience malheureuse en 2020 avec une vingtaine d’étudiants qui ont « refusé de rembourser », l’entrepreneuse change de modèle.

Des promotions mixtes

Aujourd’hui, la formation est payante : 9,90 euros par mois, « un prix accessible pour la classe moyenne basse », précise la cheffe d’entreprise, qui n’imagine pas pour autant revivre sur l’Île rouge. A cela s’ajoute une ponction de 50 à 75 %, pour chaque tâche réalisée, sur la rémunération de ses élèves développeurs.

L’entrepreneuse revendique un chiffre d’affaires de 300.000 euros, multiplié par trois en un an. Les clients, eux, sont des entreprises africaines, des PME et start-up françaises qui font plus d’un million de chiffre d’affaires et qui n’ont pas de gros budgets tech.

Sur les quelque 260 élèves en formation, 55 % sont des femmes… Des chiffres qui font pâlir d’envie de nombreuses écoles de code françaises qui plafonnent souvent entre 15 et 25 %. Encore en phase de beta testing, l’offre de Sayna devrait être opérationnelle entre septembre et décembre de cette année et pourra alors accompagner les 2.300 Malgaches déjà inscrits.

« Une capacité d’absorption incroyable »

Matina Razafimahefa voit grand et veut se déployer sur tout le continent Africain, qui manque encore de compétences numériques. « Puis l’Asie, et le monde entier pour aider les plus précaires. » En France, elle réfléchit à répliquer le modèle pour les profils issus de milieux ruraux et de banlieue.

Pour l’y aider, la jeune entrepreneuse compte relever des fonds, entre 4 et 6 millions d’euros dans les douze prochains mois. « Elle a une capacité d’absorption incroyable. Elle peut apprendre en 4 mois les rouages d’une levée de fonds », commente Adam Haciane, son cofondateur, directeur des opérations et compagnon, rencontré à l’occasion d’un start-up week-end. Et de louer sa ténacité : « C’est une lionne qui n’a peur de personne. Elle n’est clairement pas là pour enfiler des perles. »

La jeune femme, qui souffre d’endométriose , l’avoue sans détour : sa vie est dédiée à son entreprise. Son agenda, bien garni, détaille les lieux pour travailler et passer ses appels : « devant la télé »« à la salle de sport »« au parc ». Comme une tentative pour trouver un semblant d’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle.

Source: Camille Wong, Start les Echos du 03 mai 2022.

Ecouter le Podcast : #20 Matina Razafimahefa et Adam Haciane de Sayna – L’école et l’emploi : irréconciliables ?