La construction d’un amphithéâtre en béton au sein de l’enceinte royale du Rova, dans la capitale malgache, menace l’inscription de la haute ville au patrimoine mondial de l’Unesco.

C’est une curieuse arène de béton, juchée sur la plus haute colline d’Antananarivo, qui sème aujourd’hui la discorde parmi les habitants et les amoureux de la capitale malgache. Pour l’apercevoir, il faut pénétrer dans l’enceinte du Rova, la demeure officielle des souverains de Madagascar du XVIIe au XIXe siècle, et contourner la cour du Palais de la reine. Elian, le doyen des guides de la ville, n’ose pas trop s’en approcher.

Commandé par la présidence et construit en toute hâte depuis début mars par l’entreprise française Colas, ce bâtiment ovoïde inspiré de la Rome antique recouvre désormais l’ancienne piscine sacrée du roi Andrianampoinimerina. N’en subsiste que quelques pierres déplacées sur le bas-côté ainsi qu’une statue.

Le colisée, d’une capacité de 400 places, a été conçu pour accueillir des représentations autour de l’histoire de Madagascar. « Je ne suis pas contre. Les Malgaches aiment la musique et les spectacles. Si ça ramène plus de locaux que de vazaha (les étrangers), pourquoi pas ?, souligne timidement Elian. Mais si la piscine a été détruite sans rituel, ça va porter malheur à Madagascar. » Bijou architectural et historique, le Rova constitue aussi un haut lieu de la spiritualité malgache.

Atteinte au sacré

Cette possible atteinte au sacré n’est qu’un des éléments de la polémique. Annoncée par le président malgache Andry Rajoelina en janvier 2019, en vue du 60e anniversaire de l’indépendance de la Grande Ile qui doit être célébré le 26 juin prochain, la reprise des travaux de réhabilitation du Rova était très attendue. L’intérieur du palais de granit rose a été réduit en cendres en 1995 lors d’un incendie. Depuis, seule la structure est restée debout, comme une coquille vide. Las. L’irruption d’un amphithéâtre bétonné à proximité du célèbre édifice est vue par beaucoup comme une « hérésie ».

« Un colisée n’a aucun lien architectural avec l’environnement immédiat du Rova, et il y a en plus une incohérence dans le choix des matériaux utilisés : du béton alors que le palais est en granit ? », s’étrangle Sandrina Randriamanjara, la secrétaire exécutive de l’Association des professionnels de l’Urbain de Madagascar. Celle-ci s’inquiète aussi du « risque géologique », lié au poids du nouvel ouvrage, inconnu à ce jour : « Chaque année, des éboulements sont à déplorer sur cette colline. Des éboulements qui font des morts. »

Une poignée de photos diffusées sur les réseaux sociaux ont suffi à embraser la toile. Au point qu’une pétition en ligne est parvenue à rassembler en quelques jours près de 11 000 signatures pour demander la démolition du bâtiment et dénoncer rien moins qu’un « génocide culturel ».

Au-delà de l’inesthétisme de l’amphithéâtre, c’est aussi l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco du Rova et de la haute ville d’Antananarivo qui se joue. Tous deux figurent en effet depuis 2016 sur la liste indicative des sites pouvant prétendre à ce label. Mais dans une lettre révélée sur les réseaux sociaux, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture s’était émue dès le mois de février de l’impact du projet sur « la valeur universelle exceptionnelle » de la capitale.

Selon une source bien informée, Madagascar aurait touché un financement de 30 000 euros de l’Unesco pour préparer le dossier de candidature. La ministre de la culture et de la communication, Lalatiana Andriatongarivo, assure quant à elle que la présidence a financé les travaux de réhabilitation sur fonds propres, à hauteur de 5,9 milliards d’ariary (1,4 million d’euros). Vendredi 22 mai, cette dernière a ouvert elle-même les portes du Rova à quelques journalistes afin d’éteindre le feu des critiques. Comme pour le reste de la communication présidentielle, la construction du Kianja Masoandro (stade) est justifiée en tant que symbole de la « souveraineté malgache ».

« Du pain et des jeux »

Ces arguments n’empêchent pas les détracteurs du projet de pointer le problème de gouvernance que révèle cette arène construite en catimini. Et l’ensemble du fonctionnement du chantier de réhabilitation. « Les rénovations du Rova sont impulsées par la présidence, mais doivent être validées par un comité scientifique qui dépend du ministère de la culture, explique Sandrina Randriamanjara. Or, depuis quelques mois, ce comité qui était à la base constitué de techniciens, d’archéologues, de scientifiques, a été renforcé par des acteurs gravitant autour de la présidence. »

Le malaise a gagné le cœur même de cette structure, comme en témoigne la démission du directeur du comité scientifique, le professeur Rafolo Andrianaivoarivony. « On a fait endosser aux membres scientifiques une décision politique relevant de la prérogative régalienne. Or le dossier du Colisée n’a pas été soumis aux scientifiques », explique au Monde Afrique cet ancien représentant de Madagascar au Comité du patrimoine mondial de l’Unesco. Alors que le ministère de la culture avait soutenu, face à la presse vendredi que le comité scientifique était indépendant, le professeur assure que dix de ses membres sont issus de la présidence et de ministères, contre seulement quatre universitaires et six techniciens.

Les protestations fusent de toutes parts, mais la construction est déjà quasiment achevée, empêchant tout retour en arrière. A fortiori pour un projet clé pour la geste présidentielle. « La dimension de bâtisseur est essentielle à la parole politique d’Andry Rajoelina, explique Juvence Ramasy, enseignant en sciences politiques à l’Université de Toamasina. Son précédent mandat a été marqué par les constructions : hôpitaux, stade Maki, sans oublier, déjà, le colisée d’Antsonjombe. C’est une façon de réactualiser le “Panem et circenses”. » Du pain et des jeux : un programme qui peut convaincre certaines franges de la population, mais bien moins largement que dans la Rome antique.

Source : Le Monde Par Laure Verneau Publié le 25 mai 2020